L'hôtel de la dernière heure by Laurent Chabin

Auteur:Laurent Chabin [Chabin, Laurent]
La langue: fra
Format: epub
ISBN: 9782897239718
Éditeur: Éditions Hurtubise
Publié: 2017-02-24T05:00:00+00:00

10

Enver et son double

Il a fallu que je leur raconte tout depuis le début. La visite d’Enver dans ma chambre, l’étrangeté de son comportement, l’épisode de la gare – qui a semblé particulièrement notable aux deux policiers. Je n’ai même pas omis ma conversation avec Fred me mentionnant la présence d’Enver en ville.

Après mon récit, Blais et Bolduc se consul­tent une fois encore du regard, mais ils ne font aucune observation. J’imagine que ce ne sont pas mes informations qui les surprennent le plus, et qu’ils s’y attendaient un peu.

C’est davantage la position que j’occupe dans ce casse-tête qui doit les intriguer. Le gros Bolduc ne se prive pas de me le faire sentir. Je crois qu’il m’a pris en grippe.

— Il y a un aspect de l’affaire qui me chiffonne, déclare-t-il. Pour autant que nous le sachions, les trois autres victimes de cambriolage ou d’agression ne se connaissaient pas et n’avaient aucun lien avec Enver Kazan. Ce qui n’est pas le cas pour vous. On pourrait se demander en quoi ils consistent, ces liens.

Ce salaud veut me faire sortir de mes gonds. Je m’efforce de ne pas m’énerver et répète d’une voix la plus neutre possible:

— Je vous ai précisé que je ne l’avais pas vu depuis dix ans et que, au cours de sa visite, il ne m’a débité que des platitudes.

— Autre chose, poursuit Bolduc sans relever mon intervention. La technique employée chez les trois victimes a été chaque fois identique. Pas chez vous. Là encore, vous apparaissez comme un acteur spécial dans la série des événements.

— Je ne suis pas un acteur dans ce drame, m’écrié-je en perdant patience. Un acteur agit, ainsi que son nom l’indique. Or, je n’ai rien fait, absolument rien. J’ai reçu une visite que je n’avais pas sollicitée, c’est tout. Je ne vois pas ce que vous auriez à me reprocher!

Blais tente de calmer le jeu – jeu trop classiquement policier auquel je viens de me laisser prendre bêtement et qui consiste à alterner les attaques violentes et injustifiées (c’est Bolduc qui joue ce rôle) avec des paroles doucereuses et paternalistes (ici inter­vient Blais), le tout dans l’unique but de me désarçonner et de m’attirer dans leurs filets.

— Nous n’avons rien prétendu de tel, affirme Blais avec un sourire en coin. Il semble évident, au contraire, que Kazan a profité de vous à votre corps défendant, et ce, dans un but que nous ignorons encore. C’est pour cela que votre collaboration nous est si précieuse. Nous sommes persuadés que c’est en vous que se trouve la clé de l’affaire.

Il n’a pas tort. C’est ce que je pense depuis le début. Mais je ne veux pas me laisser entraîner dans une histoire dont la véritable teneur m’échappe complètement.

Ignorant Bolduc – et tombant peut-être ainsi dans leur piège, justement –, je m’adresse à Blais:

— Je ne demande pas mieux que de collaborer avec vous. Encore me faudrait-il savoir de quoi il retourne. Vous avez affirmé détenir un dossier assez complet sur Enver Kazan.

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